Eric Lanne Luc

N'ÊTRE, de ERIC LANNE LUC

Editions Alcyone (Collection Surya)

Éric Lanne Luc, né en Gironde en 1963, vit et travaille aujourd’hui à Paris. Parallèlement à son activité professionnelle, outre qu’il se consacre inlassablement à l’exploration de la langue française, caressant le projet de créer un dictionnaire analogique d’un nouveau genre, il poursuit désespérément la tâche d’élaborer une écriture poétique singulière, une sorte d’alchimie langagière qui se présente comme une tentative d’approche de la mystérieuse, insaisissable, improbable réalité du monde.

Cette suite de poèmes forme un chant à sa manière, comme une onde, un chant comme une mer et ses vagues ‒ la vague est un fragment de la mer ‒, un chant fait de vagues. (…) La parole poétique sort de son enveloppe, elle se libère, que dit-elle ? L’homme sans doute, qu’est-ce qu’un homme ? Un manque certainement, que cherche-t-il ? Que recherchent les humains ? Que ne trouvent-ils jamais ? Et la parole vient écrire l’homme, elle nous écrit, et c’est le souffle, et c’est la mer, la mort, et c’est la marche vers l’enfance, le vent de l’enfance, le souffle de l’eau vivante, une respiration. (…) [extraits de la préface]

 

TEXTES

 

"pleurez ! enfants, vous n'avez plus de père !"* un an avant sa  mort la voix du père s'est tue la voix du père est morte avant le père or en la voix gîte l'homme profère le chantre or en la voix son souffle sa vibration mais hélas aujourd'hui la mémoire n'entend plus la voix car les ondes se sont perdues en méandres de mémoire et du père ne reste que rares images comme derrière une vitre où coule la pluie ce corps à demi pétrifié qu'il traîne au bout d'une vie et lassitude aux yeux noircis du mystère or un jour brûlant d'été le coeur du père cesse de battre et la vague du souffle s'achève sur la rive le père a sept fois l'âge du fils dix ans*** et sur la scaena la mère houleuse annonce la fin du père et pleure il semble et demande aux vivants de baiser la joue de celui qui n'est c'est une écorce encore tiède et plus tard dans le jour courir à travers bois profus s'étendant tout autour courir à perdre souffle sur chemins où l'école finie  coutume d'errer courir à perdre souffle courir et se perdre*** 

 * Nerval, citant Jean-Paul 

**  Une évocation musicale du  fragment 17 : "Chemins IV" (1975) de Berio  

*** [sic pour la syntaxe]

18a

quand les chemins se séparent au dernier jour la conscience se délivre de ses minces attaches de matière et dans le même temps s'opère précise la séparation d'avec les siens nos semblables et alors poussés par quelque force obscure nous prenons  le chemin de l'absence et nous voilà exclus de la lumière

18b                                                                       

au seuil de l'être il y a la lumière le rayonnement primordial la vibration liminale de la rencontre une lumière venue du lointain des âges pénètre la matière d'un vivant le vivant se débat et se noie dans les ondes et la lumière se retire un jour commence alors l'errance en l'inconnue ténèbre d'où le retour est défendu

19

"il n'est pas de remède aux absences temporelles: on ne retrouve pas les morts"* ceux qui sont dans l'hier désormais enfermés dans les geôles de l'absence jadis ils respirent l'air le même je l'aspire à présent moi un vivant de hasard dans le souffle mobile ils boivent l'eau jadis je la bois ce jour la même un vivant dans la lumière vivante de l'eau le même air soulève la vague de nos poitrines de l'aujourd'hui et de l'hier la même eau dans le temps étanche nos bouches la même chair emplie nos contours et nos yeux nos mains nos coeurs se touchent s'étanchent se nourrissent et je vois ceux que le passé retient occuper le miroir de l'espace où je me tiens ils boivent en dehors de la soif or je fais de même à la fontaine des métamorphoses et puis un jour ils sont une rivière tarie et je dois vivre alors avec cette eau absente jusqu'au tarissement ultime des tarissements

* Alquié

95            

la réalité la surface du temps "il est" dit Parménide révoquant le néant l'oracle des vérités premières ajoute "maintenant" révoquant le temps la clef du mystère la lumière crue de la présence cette béance à la présence crue du cosmos et la scène primordiale s'éclaire d'une lumière nue se creuse de la présence nue du monde ô Poète des origines ta vision se frappe d'illumination car ta parole de chantre donne naissance au surgir des surgissements car sur la scène des origines se fige l'image primitive du monde en sa seule présence illuminée c'est cela que tu vois toi le voyant dans tes yeux d'aveugle et le néant dans ta parole vertigineuse à tout jamais est aboli et vers la soie plissée de la mer je vois se tourner tes yeux aveugles de voyant et tu proclames ceci que le temps a l'épaisseur de l'absence or mes entrailles sont faites du frémissement dit le poète dans sa plainte et ma chair faite de la douleur et meurs déjà et à jamais arraché des lumières sans savoir sans raison 

96

"il n'y a pas de chemins, c'est moi qui crée mon chemin en marchant"* tout homme est un chemin et marche au dedans de lui-même la lumière s'en va quitte la face des matières c'est alors la nuit qui appelle la parole et le chant et c'est tout un paysage obscur où se frayer un chemin une terre obscure qu'il faut creuser c'est alors que le chantre entre dans l'obscur du silence en sa matière intérieure et ce sont des layons dans les bois de mémoire qui se donnent à son cheminement et que faire d'autre que creuser ces chemins l'ornière du chantre est un chemin de parole usée trame effilochée du souvenir sa terre est terre de langage et mémoire mêlés creuser un chant en cette terre est tâche ingrate et  vient la pluie venue de quelque ciel mélancolique dans les lointains d'amertume aller sous la pluie aux chemins d'égarement

  • Machado

133 

un homme est une étrange liberté or avant tout il est de la lumière et comme une mère il porte cette matière transparente au-dedans il porte en sa chair une lueur vivante sous les flots solaires de même porte une nuit en lui où s'égarer et l'abîme est un très-grand silence de l'épaisseur des néants celui-ci a su au temps des lumières solaires celui-là non qu'importe un silence le même ensevelit l'un comme l'autre un mystère le même les enveloppe la même nuit les efface les oublie

134a

"(...) emportés sans retour"* le vertige plane sur la mer et la présence ramassée du vivant en face du vertige et la voix de connaissance hante la mémoire du vivant et de la vague pure naît la vague pure du vertige de la mémoire naît le vertige grand de la mer et sa présence vivante ce sont bien là des présences qui se reconnaissent en cet instant la rencontre de deux vertiges le vivant qui sait et la mer sans mémoire

*Lamartine

136 

qui est cette voix cette parole à l'intérieur de la parole comment le dire ce creusement dedans en la matière cette ornière intérieure dire le creusement dire l'ornière la question lancine l'ornière se creuse en la matière intérieure de cette langue qui est ma chair et mon sang en la chair cette langue cette terre intérieure où s'enracine un dire inouï et l'orbe et l'orbe de la question tourner en rond circuler en le verbe le verbe est la chair chair d'une parole mais qui cette parole qui ce verbe qui trace les sillons du dire de chair quelle énergie enfouie en la matière vivante qui est cette lumière vivante irradiant depuis quelque point obscur jusqu'aux contrées lointaines tournées vers l'univers sans limite qui est cette voix de la chair

137a

viennent les larmes de la pluie dernière équinoxe et dernier solstice les arbres épuisés les feuilles mortes le vent les chasse un jeu d'énergies se contrariant le vent les repousse vers l'oubli hier n'est pas ni demain c'est la ténèbre jetée sur l'hier et le demain seul demeure le fil tendu dans la lumière des mystères et le vivant qui sait la mort il est tendu sur le fil soumis aux énergies et forces contraires

137b

et l'oedipe* pose son pied boîteux sur le chemin l'enfant mal né l'insulté du hasard il suit le temps à la trace il y a tous les sillons laissés sur nos matières d'homme et en dessous les sources du sang se tarissent des feuilles que la sève n'irrigue plus sommes-nous devenus et la parole ne s'écrit plus en nous un vent nous pousse vers l'oubli de ténèbre

* [sic] sans majuscule

138

petite phénoménologie de la conscience au clore des paupières la nuit s'insinue en l'intime de la chair intérieure une nuit de la profondeur presque d'une mort si ce n'est cette lueur sans lumière dans la nuit au dedans envahi de nos chairs vulnérables une lueur sans lumière en la chair toute diffuse une lueur comme une chair qui se sait chair en l'intime dedans une lueur presque une absence or au clore de nos jours la mort comme une nuit vient glisser son opacité et dérobe la présence blottie en nos chairs et c'est une nuit sans profondeur réelle laquelle en cet instant nous envahit or les yeux sont ouverts en cette encre vertigineuse de la dernière nuit en nos chairs inondées et vient chasser dehors la lueur de nous-mêmes laquelle nous la voyons s'éloigner jusqu'à la cécité aveugles à la nuit même le fil du temps se coupe

Extraits de N’ÊTRE, de ERIC Lanne Luc.

© Editions Alcyone

 

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                    N'ÊTRE

dits par Silvaine Arabo (fichier MP3 en bas de page).

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Eric Lanne Luc

Poèmes d'Eric Lanneluc, dits par Silvaine Arabo

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